L’armée togolaise est-elle digne de confiance et professionnelle? Cela dépend de la personne interrogée
Au Togo, l’armée est un acteur politique très influent. En 1967, un coup d’état militaire a installé Eyadema Gnassingbé à la présidence, et il a gardé le pouvoir jusqu’à sa mort en 2005. Juste après son décès, le fils d’Eyadema, Faure Gnassingbé, a été déclaré président avec le soutien de l’armée. Il a démissionné sous la pression des dirigeants de la sous-région mais a repris le pouvoir après avoir gagné les élections d’avril 2005, jugées « libres et transparentes » par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) mais qui ont occasionné des affrontements violents réprimés par l’armée togolaise (Venkatachalam, 2017; Wong, 2017). La proximité des militaires avec le pouvoir exécutif a été longtemps décriée par les partis d’opposition, qui accusent les forces armées d’avoir l’emprise non seulement sur l’autorité gouvernementale mais également sur les principales institutions financières du Togo (IRIN, 2005). Amnesty International a critiqué les forces de sécurité togolaises pour l’usage excessif de la force contre les manifestants, journalistes, et membres de l’opposition politique. Sous Faure Gnassingbé, l’armée a été accusée d’être particulièrement agressive envers les médias qui affichent le moindre signe d’opposition politique (Amnesty International, 2017a). Lors de plusieurs rencontres organisées au fil des années, le gouvernement togolais a publiquement exprimé son engagement à réduire les violations des droits de l’homme perpétrées par le dispositif de sécurité, mais il n’y a que peu de preuve de ce que des efforts aient été véritablement faits, au-delà de la rhétorique (Amnesty International, 2017b). Eu égard au rôle controversé de l’armée au niveau national, quelle perception les citoyens togolais ont-ils de leur armée? Les résultats de l’enquête d’Afrobaromètre la plus récente révèlent qu’un peu moins de la moitié des Togolais font confiance à l’armée, pensent qu’elle protège efficacement le pays, et affirment qu’elle agit avec professionnalisme et dans le respect des droits des citoyens – appréciations toutes marquées par de grands clivages ethniques, régionales, et socio-économiques.
Confiance en l’armée togolaise
Quatre Togolais sur 10 (42%) affirment faire « partiellement » ou « beaucoup » confiance à l’armée, alors qu’une majorité (56%) ne leur fait que « juste un peu » ou pas du tout confiance. Quoique très en-dessous du niveau moyen de confiance en l’armée (64%) à travers 34 pays africains enquêtés en 2016/2018, plus de Togolais font confiance à l’armée qu’au président (37%), à d’autres dirigeants élus, aux partis politiques, et aux tribunaux. La confiance en l’armée est restée constante depuis la première enquête d’Afrobaromètre au Togo en 2012.
Performance et comportement de l’armée
Comme pour la confiance populaire, les perceptions des Togolais quant aux compétences et à l’attitude de l’armée sont mitigées. La moitié (48%) environ des répondants pense que les forces armées protègent « souvent » ou « toujours » le pays des menaces sécuritaires externes et internes, tandis que 22% affirment qu’elles ne le font que « parfois » et que 13% affirment qu’elles ne protègent que « rarement » ou « jamais » le pays. En ce qui concerne le comportement de l’armée, moins de trois répondants sur 10 (28%) affirment que les forces armées travaillent « souvent » ou « toujours » avec professionnalisme et respectent les droits de tous les citoyens. Un sur quatre (23%) environ affirme qu’elles répondent « parfois » à ces normes, tandis que 44% pensent qu’elles n’y répondent que « rarement » ou « jamais ».
Perceptions sécuritaires plus globales
Le niveau bas de confiance en l’armée pourrait traduire des perceptions et expériences plus généralisées de l’insécurité parmi les Togolais ordinaires, quand bien même sur le plan local, la police est probablement plus fortement associée à la sécurité et à la sûreté. Une majorité (58%) des Togolais affirment craindre des actes d’intimidation ou de violence politique durant les campagnes électorales au moins « un peu », dont 28% qui affirment « beaucoup » les craindre, marquant une hausse par rapport aux 22% de 2014. La proportion des citoyens qui affirment ne pas craindre « du tout » de tels actes d’intimidation a diminué, de 47% en 2014 à 41%. A la question de savoir s’ils avaient connu et/ou craint des actes de violence dans des cas spécifiques durant les deux années précédentes, un quart (23%) environ des répondants affirment avoir connu des actes de violence durant une manifestation publique, alors que 26% affirment avoir craint (mais pas vécu) d’en être victimes, et environ la moitié (47%) affirment n’avoir pas éprouvé de telles craintes. Des proportions quelque peu plus petites affirment avoir éprouvé des actes de violence lors d’un événement politique (19%) ou avec des personnes de leur voisinage ou village (13%). Étant donné qu’une proportion substantielle de répondants affirme craindre des actes de violence, surtout lors de manifestations publiques et d’événements politiques, les Togolais considèrent-ils leur sécurité personnelle pire qu’au cours des années précédentes? A peine un tiers (31%) affirment que leur sécurité personnelle face aux crimes et à la violence est actuellement « pire » ou « beaucoup pire » que « quelques années auparavant », mais une plus grande proportion affirment que la sécurité personnelle s’est améliorée (41%) ou est demeurée pareille (26%). Une majorité (59%) de Togolais soutient le droit du gouvernement à imposer des barrages routiers et des couvre-feux lorsque la sécurité publique est menacée. Environ quatre sur 10 (38%) affirment que les gens devraient pouvoir se déplacer librement à tout moment, quelle que soit la situation sécuritaire.
Quand bien même les Togolais ont moins confiance en leur armée que la plupart des autres Africains, cette absence de confiance n’est pas uniforme à travers la population. Dans une large mesure, la confiance des citoyens togolais en leur armée et les appréciations de son efficacité et de son comportement dépendent du lieu de résidence des répondants, du groupe ethnique auquel ils appartiennent, et de ce qu’ils sont pauvres ou riches. Ces résultats poussent les autorités du gouvernement et de l’armée à prendre des mesures visant à établir une force véritablement professionnelle et considérée protectrice, serviable, et respectueuse de tous les citoyens.
Auteurs de l’article: David Jacobs et Thomas Isbell – voir plus: http://www.afrobarometer.org/fr/publications/ad282-how-trustworthy-and-professional-togos-military-depends-whom-you-ask